Biographie (1)

Louis Lecoin

 

 

La famille

Les grands parents Lecoin, Louis et Catherine, « née Sallé », résident à Saint Loup des Chaumes où le père est agriculteur. Les grands-parents maternels, Antoine Vacher et Anne-Marie, née Phalanchet, s’installent en 1866 dans les nouveaux quartiers route de Charenton où la proximité de la Marmande permet à Antoine d’exercer son métier de chamoiseur. Puis ils s’installent rue Lafayette pour tenir le métier de matelassier pour Antoine et de couturière pour son épouse. Il semble qu’ils aient eu au minimum huit enfants qui sont déclarés exerçant la profession de culottier ou culottière, étant petits.

Les parents

Jean Lecoin, le père de Louis, est né à Allichamps le 7 avril 1846. Agriculteur à Saint Loup des Chaumes, il s’installe comme journalier à Saint-Amand lors de son mariage avec Françoise Vacher, née le 3 décembre 1860. Il gagne de 2 à 3 francs par jour alors que le kilo de pain vaut 0,25 F et le kilo de viande 1,50 F. Sa femme fait des ménages, en particulier chez un minotier de la ville, Ernest Vagner, au moulin de Billeron. Le mariage a lieu le 10 mars 1879, en présence des quatre grands-parents. En 1881, ils louent un appartement au 54, rue Autel de la Patrie ; ils ont déjà un petit garçon d’un an prénommé Désiré. Ils déménagent à plusieurs reprises, car de multiples naissances viennent agrandir la famille. On leur connaît plusieurs adresses successives : 29, puis 19 rue de Billeron près du moulin où travaille la mère de Louis Lecoin, puis au 6 rue de la Liberté. Ils ont sept enfants et Louis est le quatrième.

L’enfance

Louis voit le jour le 30 septembre 1888, au domicile des parents, rue Foy, à 2 heures du matin.

« Je ne fus pas un élève extraordinaire ni tellement studieux, seulement j’apprenais sans peine. J’étais dissipé, batailleur et je faisais volontiers l’école buissonnière ». Les occasions de manquer l’école sont fréquentes pour Louis : la venue d’un régiment d’infanterie qu’il suit longuement, le passage de la statue de Vercingétorix en route pour Clermont-Ferrand… « Je ne détestais pas me battre et si j’administrais une correction à un autre galopin, je mêlais le patriotisme au pugilat… Je m’affichais cocardier en diable, déroulédiste au possible. Et je criais plus fort que qui que ce soit, qu’un Français valait trois Allemands ». Louis Lecoin cocardier ? Pas profondément, la suite le dira. C’est l’époque où les yeux de nombreux Français, revanchards, sont dirigés vers le nord-est pour reprendre l’Alsace et la Lorraine. Dans les écoles, un livre tel que « le tour de France par deux enfants » de Gabriel Bruno vante les qualités techniques, les ressources profondes du peuple français tout en arrimant profondément au cœur de chacun l’esprit de revanche.

La misère

La vie quotidienne n’est pas toujours rose et la famille est inscrite au bureau de bienfaisance qui assure le médecin, les médicaments et les fournitures scolaires. Un pain de quatre livres est distribué publiquement le samedi matin et Louis doit prendre son tour certaines semaines : « distribution qui mettait à rude épreuve mon orgueil de gamin lorsque c’était mon tour de prendre la queue dans cette file de malheureux ». Comme cette époque ressemble à la nôtre ! Quand en dix ans (1880-1890) les salaires n’augmentent que de 0,25% par an, l’action Suez passe de 730F en 1880 à 1295F en 1881 !

Malgré la misère, Louis fait preuve d’une grande ardeur qui lui permet d’affronter cette vie difficile. « J’ai même vécu pendant ce temps d’agréables moments… Je me livrais à la maraude de fruits. Si les propriétaires se plaignaient, ma mère paraissait me tancer mais après je lisais dans ses yeux : puisque je n’ai pu t’en offrir… ». Louis est proche de sa mère dès son plus jeune âge. Son ami Bernard Clavel écrit ce qu’il lui a confié : « À cinq ans, seul tout le jour au chevet de sa mère, il passait son temps à épier sur son visage la progression du mal dont elle allait mourir… Quand sa mère s’endormait, il allait vers elle, il soulevait sa paupière pour savoir si elle vivait encore. Terminant son récit, le vieux lutteur admirable qu’il est devenu s’est mis à pleurer pour ajouter :"Je la réveillais. Elle me grondait. Et j’étais heureux. Si elle me grondait, c’est qu’elle vivait encore" ».

La religion

« Comme nous nous préparions à la première communion et que je me montrais inattentif à la

leçon du prêtre, celui-ci déclara en présence de quarante petits compagnons :"Lecoin, vous n’aurez pas le costume que votre mère m’a demandé" ». Malade de confusion, Louis obtint de sa mère un autre costume pour le jour de la cérémonie. « Mes parents n’étaient point bigots, mais ils se trouvaient trop à la merci des gens riches pour oser manifester une opinion à ce propos, et m’exempter de cette éducation-là ». Louis restera toujours très méfiant face à la structure Église pensant que dans bien des cas elle est « une force immense d’obscurité ».

Cependant nombre de ses amis et de ses plus fidèles soutiens furent des hommes de charité et

de paix : le pasteur Roser, l’abbé Lelong, l’abbé Jean Toulat, Lanza Del Vasto ou encore

l’abbé Pierre. Il mettait toujours la fraternité au-dessus des croyances.

Le départ

Avec son certificat d’études en poche, il est pris comme apprenti-typographe chez Pivoteau, libraire-imprimeur, place Mutin. Il y reste peu de temps, il fait des études agricoles à Laumoy de 1901 à 1904. «Je fus tour à tour jardinier, porcher, bouvier, berger, charretier et cultivateur… Je quittai Laumoy à seize ans en octobre 1904 muni d’un diplôme d’agriculture et d’une prime des cent vingt francs […]. Avais-je vraiment perdu ces trois années ? Sûrement ! J’acquis cependant à Laumoy le goût profond de la nature […] et peut-être des poumons pour résister aux encellulements qui m’attendaient […]. J’y acquis aussi, il va de soi, des notions d’agriculture qui me rendirent tout à fait compréhensible la lecture de Kropotkine, le meilleur théoricien de l’anarchisme ».

Il monte ensuite à Paris et trouve du travail comme jardinier. 1906 sera pour lui une année terrible avec le décès de son frère Émile, tailleur chez M. Lavaron place du Marché en mai, et en août le décès de sa maman à l’âge de 45 ans. Fin 1907, il quitte définitivement Saint-Amand et monte à Paris.

Le service militaire

Appelé à faire son service militaire, il rejoint son régiment l’année suivante à Cosne sur Loire. Le 17 octobre 1910, son unité est envoyée pour "casser" une grève des cheminots. Il refuse en tant que syndicaliste et passe en jugement le 15 novembre au conseil de guerre du 8è corps d’armée à Bourges. Il est condamné à 6 mois de prison avec les circonstances atténuantes : les gradés qui l’ont commandé louent sa bonne conduite. De nombreux journaux nationaux parleront de cette affaire et certains n’hésiteront pas à parler d’un « Tolstoï français ». « Je préfère subir n’importe quelle peine plutôt que de désobéir à ma conscience. Je m’étais juré que l’armée n’annihilerait pas mon individualité. Qu’il y aurait des actes que je ne consentirais jamais », dit-il lors de sa plaidoirie.

Le refus de la guerre et de l’armée

Libéré, il travaille au journal « Le Libertaire » de Sébastien Faure. En 1912, il se retrouve condamné à 5 ans de prison pour « provocation au meurtre » : le pouvoir en place avait trouvé cette accusation mensongère pour incarcérer le bouillant secrétaire de la Fédération Communiste Anarchiste qui prônait le refus des armées et des guerres. Il ne sortira de prison qu’en 1920, sauf deux intermèdes d’une quinzaine de jours pendant lesquels il reprend son activité pacifiste et est condamné, encore, pour activités pacifistes. Il en profitera pour se cultiver et lire.

 

« On peut être heureux quand on a évité du malheur ».

 

La défense de l’Homme

C’est un homme mûr qui sort de prison et qui va tout faire toute sa vie durant pour « défendre l’individu broyé par le système ». Entre 1920 et 1930, il sera emprisonné à de nombreuses reprises, comme rédacteur du « Libertaire » pour avoir dénoncé trop vertement certains scandales, malversations ou pour avoir défendu la paix. À chaque fois, il fait une grève de la faim pour obtenir le statut de prisonnier politique qu’on lui refuse. Il est à l’origine des gigantesques manifestations qui se déroulent en France en 1926/1927 pour demander la libération de Sacco et Vanzetti, condamnés et exécutés pour un meurtre qu’ils n’ont pas commis. Quinze jours après l’assassinat, moustache rasée, déguisé, Louis réussit à entrer dans l’espace de l’Américan Légion qui tient son congrès à Paris et crie par trois fois : « Vivent Sacco et Vanzetti ! ». Le préfet Chiappe le fait emprisonner pour « Apologie de meurtre », et le fait libérer quelques jours plus tard devant le tollé général : toute la presse ne parle que de ça ! Louis obtient la libération de trois anarchistes espagnols que la France veut extrader en Argentine qui s’apprête à les faire périr dans un bagne en accord avec le gouvernement de Franco en Espagne, remuant ciel et terre : il passera de longues journées à la chambre des députés pour les convaincre un à un. Le président Poincaré sachant qu’il allait être interpellé et mis en minorité fait libérer les trois prisonniers. Quelque temps plus tard, il permet à Victor Makno menacé d’expulsion sous 48 heures de rester avec sa femme et sa fille en France : le préfet Chiappe, se rendant compte qu’il avait abusé de ses prérogatives précédemment, lui avait dit qu’il pourrait l’aider à l’occasion : ainsi Louis Lecoin demande la grâce de Victor Makno et l’obtient. Il anime avec fougue un comité pour l’Espagne libre, n’hésitant pas à affréter pour les anarchistes des convois de vivres, de vêtements et… d’armes. En 1939, il rédige un tract « Paix immédiate » qu’il distribue à 100.000 exemplaires. Il est emprisonné pour deux nouvelles années ! Pour la paix, il a fait en tout douze années de prison…

L’objection de conscience

Après la guerre 39/45, il fonde la revue « Défense de l’Homme » qui combat toutes les guerres et en particulier celles que la France fomente en Indochine et en Algérie. En retraite dans le sud de la France, sa compagne Marie décède en 1956. Désespéré, il se lance, à l’invitation de ses amis, dans le combat pour la reconnaissance de l’objection de conscience et crée la revue « Liberté ». Dans le comité de soutien figurent entre autres : l’abbé Pierre, Albert Camus, Bernard Clavel, Jean Cocteau, Jean Giono, Bernard Buffet. Après trois ans de négociations, il se lance dans une grève de la faim le 1er juin 1962. Le nouveau premier ministre Georges Pompidou promet qu’un statut sera voté rapidement et Louis cesse sa grève le 22 juin. Les objecteurs en prison sont libérés ; certains en étaient à leur neuvième année de prison ! Le statut est promulgué en décembre 1963. Un comité composé de personnalités décide de le proposer au prix Nobel de la Paix. Apprenant que le pasteur Martin Luther King est sur les rangs, il demande qu’on retire sa candidature. En 1966, il obtient des lecteurs du Canard Enchaîné, le « Nobel du Canard », à égalité avec Jean Rostand. Il entame alors sa dernière et plus belle campagne « Pour le désarmement unilatéral de la France », car, dit-il, « La France doit déclarer la paix au monde ». Il revient à Saint-Amand, en 1966, pour les besoins d’un film documentaire sur sa vie, « Le cours d’une vie ». Il meurt le 21 juin 1971, à Pavillon sous Bois.

 

 

« Ce qu’il faut c’est avoir une individualité et imprimer à la vie son cachet personnel. C’est agir, agir sans cesse. Car, si l’inaction est parfois de la sagesse, elle est souvent de la lâcheté, et presque toujours une faute ».

 

 

Les manifestations pour le quarantième anniversaire de la mort de Louis Lecoin

 

L’exposition au musée St Vic :

Elle s’est déroulée du 15 septembre au 12 octobre 2011 et a présenté de nombreux documents inédits : articles de journaux, affiches, photos ou encore dessins humoristiques. Le Centre de la Presse de Maisonnais a retrouvé de nombreux articles parus entre 1910 et 1971, dans diverses revues et journaux.

Elle a drainé deux cent quatre-vingt-quinze visiteurs en quatre semaines, dont cinquante à l’inauguration qui a eut lieu le 30 septembre, jour anniversaire de la naissance de Louis Lecoin (il y avait 123 ans).

 

« Louis Lecoin, homme de paix » :

Une brochure de 56 pages, format A4, sort le 20 septembre 2011. Elle a demandé à ses auteurs un an de travail pour trouver des documents inédits et faire des recherches dans les archives locales. Cet ouvrage a été édité par l’Union Pacifiste. Les « Amis de Louis Lecoin » et les « Amis du Musée saint Vic » y ont participé activement, pour les recherches, pour l’écriture et la relecture. Sylvie Mialet, Luc Martin, Bernard Vannier en sont les principaux rédacteurs. Mille exemplaires ont été tirés.

 

Une heure/une œuvre :

Fabian Latorre, le sculpteur du buste de Louis Lecoin, a rappelé la commande de la mairie en 1991 pour les vingt ans du décès du pacifiste saint-amandois. Bernard Vannier a retracé sa jeunesse à St-Amand, Daniel Forestier et Jacques Le Puil ont parlé de leurs rencontres avec le célèbre pacifiste, Jean-Marie Borgraeve a raconté divers combats de Louis Lecoin. Jean-Marie Penot et Daniel Duval ont lu des textes de Bernard Clavel ou de Louis Lecoin. Trente-cinq personnes ont assisté à cet échange.

 

Le film

Vendredi 30 septembre, salle des fêtes, cinquante personnes étaient présentes lors de la projection du film « Le cours d’une vie ». Débat animé par Maurice Montet de l’Union Pacifiste.

 

Rencontres « Créateurs de paix »

Le samedi après-midi, quatre-vingts personnes se sont déplacées pour écouter divers orateurs parler de leur expérience de paix : Josette Pratte, (Bernard Clavel et Louis Lecoin), Bernard Ginisty (De la violence faite aux êtres humains au nom de ce qui se présente comme les « lois de l’économie »), Alain Rafesthain (Nous sommes tous citoyens du monde), Maurice Montet (Les campagnes de Louis Lecoin et le désarmement unilatéral), René Burget (Le protocole Armée/Ecole), Jacques Le Puil ( l’Espéranto, une langue pour relier les hommes), Joël Frison (les armes à uranium appauvri dans le Cher).. Présentation et débat animés par Bernard Vannier.

Aujourd’hui

Cet homme, bien méconnu, est de la trempe des meilleurs. L’abbé Pierre parlait à son propos de « saint laïc », et beaucoup l’ont comparé à Gandhi ou à Martin Luther King. Il est étonnant de voir comment aujourd’hui encore, un homme n’appartenant pas au « Sérail », n’étant pas dupe du « Système », ayant une parole franche et une action pour défendre les « broyés de la vie », peut encore témoigner ; n’était-il pas bien avant la lettre, un « indigné » et un « résistant », un homme libre qui fait corps avec sa propre sincérité.

« Un dixième de son audace et je serai fier de ma vie », écrit un des visiteurs sur le livre d’or de l’exposition. Ce sera la plus belle des conclusions pour cet article.

Jean David Jean-Marie Borgraeve

 

 

Pour aller plus loin, en librairie :

« Louis Lecoin, homme de paix », septembre 2011, 5€.

« Le cours d’une vie », DVD film documentaire en noir et blanc, 64 mn. 10€.

Et chez Jean David (les Amis de Louis Lecoin), 02.48.63.67.20 :

De Louis Lecoin : « Le cours d’une vie », mémoires. 6€

« Louis Lecoin : écrits ». Articles de diverses revues. 6€

Rencontres Louis Lecoin de septembre/octobre 2011, 5€

DVD de C. Bernard sur les Rencontres de septembre/octobre 2011, 10€

Aux archives départementales du Cher, vous pouvez découvrir en particulier :

Les archives des « Amis de Louis Lecoin » et divers documents sur Louis Lecoin. Dépôt fait en février 2012.

Le procès ; conseil de guerre du 15 novembre 1910 : côte : 3 R 285 N° d’ordre 115.

 

 

 

 

 

 

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